La réforme de l’organisation territoriale de Tallinn reconnue conforme à la Constitution par la Cour d’État

Publié le 2 Septembre 2009

L’arrêt de la Cour d’État (Riigikohus), rendu au début de cet été et qui reconnaît comme étant constitutionnelle la réforme de la carte administrative de Tallinn, mise en place par cette dernière, illustre une nouvelle consécration, par la juridiction suprême d’Estonie, du droit des collectivités locales à gérer librement leur propre organisation interne. Sur le plan politique, cet arrêt constitue aussi une victoire pour le premier magistrat de la capitale estonienne, Edgar Savisaar, leader du Parti du centre, face au pouvoir central, vigoureusement opposé à une telle réforme.

Le 19 février dernier, le Conseil municipal de Tallinn adopta un texte portant révision du statut de la ville afin de modifier de façon substantielle l’organisation administrative de son territoire.  Il est prévu d’une part, de supprimer les huit arrondissements de Tallinn, existant depuis 1993, à savoir : Haabersti, Kesklinn (Centre Ville), Kristiine, Lasnamäe, Mustamäe, Nõmme, Pirita et Põhja-Tallinn (Tallinn-Nord) et de les transformer en dix districts : Haabersti, Kadriorg, Kesklinn (Centre Ville), Kristiine, Lasnamäe, Mustamäe, Nõmme, Pirita et Põhja-Tallinn (Tallinn-Nord), Ülemiste. (Voir les deux cartes ci-dessous). D’autre part, de remplacer l’exécutif de chaque arrondissement (la municipalité d’arrondissement, en estonien : linnaosa valitsus) par un bureau de district (en estonien : piirkondlik amet). Ainsi, le maire d’arrondissement, exerçant jusque-là un mandat politique, est appelé à disparaître au profit d’une autorité municipale déconcentrée purement administrative, le chef du bureau de district. L’objectif de cette réforme, qui est prévue d'entrer en vigueur le 7 mars 2011, est en effet, comme le souligne Toomas Vitsut (KE), président du Conseil municipal de Tallinn, de dépolitiser les organes déconcentrés de la capitale.

Carte des arrondissements de Tallinn (actuellement en vigueur)


Carte des districts de Tallinn (en vigueur à partir de mars 2011)


Le chancelier du droit, Indrek Teder, autorité  publique indépendante chargée notamment du contrôle de la légalité et de la constitutionnalité des actes des collectivités locales, estima que cette réorganisation de l’administration déconcentrée de la ville de Tallinn était contraire à la loi sur l’organisation des collectivités locales (en estonien : kohaliku omavalitsuse korralduse seadus) et à la Constitution. Il proposa alors au Conseil municipal de Tallinn de modifier l’amendement apporté au statut de la ville de façon à le rendre compatible avec la Constitution.  Étant donné que l’assemblée tallinoise refusa de revenir sur sa décision, le chancelier décida de saisir la Cour d’État d’un recours en inconstitutionnalité contre cet amendement.

La Haute juridiction estonienne, examinant l’affaire au sein de la chambre constitutionnelle composée de cinq juges, a rejeté la demande du chancelier au motif, en résumé, que toute collectivité locale, que ce soit une ville (en estonien : linn) ou une commune rurale (en estonien : vald) peut instituer une nouvelle division administrative de son territoire en la désignant d’une façon différente de celle qui existe aux articles 56 et suivants de la loi sur l’organisation des collectivités locales. Si le législateur a prévu que les villes et les communes rurales puissent créer sur leur territoire respectif des arrondissements (en estonien : linnaosa pour les villes et osavald pour les communes rurales), il ne saurait en résulter, selon la Cour, une obligation pour les collectivités locales, dans lesquelles il existe une subdivision administrative, de n’avoir que des arrondissements.

La Cour a réaffirmé ici le droit des collectivités locales à l’autonomie de leur organisation interne, inscrit à l’article 154 al. 1 de la Constitution. Ce droit, explique la Cour, signifie que les collectivités locales disposent d’un pouvoir discrétionnaire pour résoudre toutes les questions les concernant. La question qui se posait en l’espèce était donc de savoir si la transformation des municipalités d’arrondissement et des maires d’arrondissement, respectivement, en bureaux de district et chefs de bureaux de district relevait de l’intérêt communal dont la prise de décision s’inscrit dans le cadre du droit d’auto-organisation des collectivités locales. Ce à quoi la Cour a répondu par l’affirmative en se fondant également sur l’article 6 de la Charte européenne de l’autonomie locale intitulé « Adéquation des structures et des moyens administratifs aux missions des collectivités locales » et qui stipule que « Sans préjudice de dispositions plus générales créées par la loi, les collectivités locales doivent pouvoir définir elles-mêmes les structures administratives internes dont elles entendent se doter, en vue de les adapter à leurs besoins spécifiques et afin de permettre une gestion efficace. »

La juridiction suprême a néanmoins rappelé que le droit d’auto-organisation des collectivités locales n’est pas un droit absolu. Le pouvoir étatique peut s’immiscer dans les affaires locales à condition de respecter le principe de proportionnalité. La Cour a constaté que la Constitution mais aussi la Charte européenne de l’autonomie locale permettent au législateur de limiter la liberté des pouvoirs locaux en réglementant, dans une certaine mesure, leur structure organisationnelle interne. Il appartenait à la Cour de déterminer si, par la loi sur l’organisation des collectivités locales, le législateur entendait établir un cadre juridique exhaustif des formes de déconcentration infra-communale, ainsi que le soutenait le chancelier du droit ou bien, au contraire, laisser aux communes une large liberté d’appréciation en ce domaine. Comme nous le savons, c’est cette dernière interprétation que la Cour a retenue dans le présent arrêt.

 

 

Référence : Arrêt de la chambre constitutionnelle de la Cour d’État du 30 juin 2009, aff. n° 3-4-1-12-09, publiée au JORE (Journal officiel de la République d’Estonie) RT III 2009, 37, 282.

Rédigé par Rodolphe Laffranque

Publié dans #Réforme administrative

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