Élections municipales estoniennes 2017 : malgré le nombre record d’e-votants, la participation électorale continue de décroître

Publié le 3 Novembre 2017

Élections municipales estoniennes 2017 : malgré le nombre record d’e-votants, la participation électorale continue de décroître

Le 15 octobre dernier, les électeurs d’Estonie étaient appelés aux urnes pour renouveler le mandat de leurs élus locaux. L’électorat est composé, dans ce cas, des citoyens estoniens ainsi que des étrangers vivant en Estonie (citoyens européens, citoyens de pays tiers à l’UE et apatrides).

Bureau de vote installé dans un centre commercial

C’était la 8e fois, depuis le retour de l’indépendance du pays, que l’Estonie organisait les «élections des assemblées des collectivités territoriales» (en estonien : kohaliku omavalitsuse volikogude valimised). Mais il s’agissait surtout de la première élection locale venant après la grande réforme territoriale, mise en œuvre dès janvier 2017, qui a eu pour conséquence une réduction drastique du nombre des collectivités locales, passant de 215 avec 2951 élus locaux (lors élections locales de 2013) à 79 avec 1729 élus locaux.

Le pays ne connait qu’un seul niveau de collectivité territoriale, à savoir le niveau communal, le scrutin peut ainsi être désigné sous le terme d’élections municipales. Les assemblées dont il est question se rapportent donc aux conseils municipaux qui ont, en estonien, une appellation différente, selon que la commune est une ville ou une collectivité rurale. Dans le premier cas, on parle de conseil municipal de ville (linnavolikogu) et dans l’autre, de conseil municipal de commune rurale (vallavolikogu).

Le Parti du centre du Premier ministre Jüri Ratas a le vent en poupe

 

Une fois n’est pas coutume, les résultats du présent scrutin ne suscitent pas beaucoup d’intérêt. Aucun grand changement n’est à signaler dans les principales villes du pays.

Le parti du centre (Keskerakond) a toujours la main mise sur la capitale, Tallinn (plus de 44% des suffrages, obtenant 40 sièges sur 73) et la région d’Ida-Virumaa, au nord-est de l’Estonie, majoritairement peuplées de russophones (avec plus de 53% des suffrages). Un fait intéressant à souligner est que l’ancien chef charismatique du Parti du centre et ancien maire de Tallinn, Edgar Savisaar, poursuivi en justice pour corruption, s’était présenté à Tallinn sur une liste concurrente à celle dont il a été le dirigeant depuis sa création en 1991 jusqu’en 2016. Il a été élu sur la base d’un mandat direct, ayant pu réunir une majorité relative sur sa candidature (avec plus de 3600 voix). Le siège de maire devrait revenir à Taavi Aas (Parti du centre), qui exerce la charge de maire depuis fin septembre 2015, date à laquelle Savisaar a dû démissionner, par décision de justice, de sa fonction de premier magistrat de la ville de Tallinn. 

Taavi Aas, maire de Tallinn par intérim et candidat du Parti su centre au poste de maire de Tallinn.

 

S'agissant de la deuxième ville la plus importante du pays, la ville universitaire de Tartu, celle-ci reste sous le contrôle du parti de la reforme, vu qu’il arrive nettement en tête avec plus de 37% des voix (obtenant 20 sièges sur 49), devançant de plus de 20 points le parti social-démocrate, qui se place en deuxième position.

La seule «surprise», si l’on peut dire, vient du parti EKRE, dont les résultats, à l’échelle nationale, sont en-deçà de ce qui était attendu. Le parti conservateur et nationaliste estonien dépasse juste de 1,7 point la barrière des 5% des suffrages exprimés pour être représenté dans les assemblées locales. Ceci étant, ce parti eurosceptique consolide sa présence non seulement sur la scène politique nationale mais aussi locale. Il est désormais représenté à Tallinn (6 sièges), à Tartu (6 sièges), à Pärnu (5 siège), à Viljandi (2 sièges), à Saaremaa (2 sièges), à Rakvere (2 sièges), à Paide (2 sièges), à Haapsalu (1 siège), à Võru (1 siège), pour ne citer que les principales communes du pays. La formation d’extrême droite, représentée au Riigikogu pour la première depuis les dernières élections législatives de 2015 avec sept députés, est maintenant bien implantée dans le paysage politique estonien et ce, vraisemblablement, pour longtemps.

 

Les résultats du scrutin sont disponibles sur le site de la Commission électorale de la République d’Estonie (en anglais).

 

La question qui, à mon avis, s’avère plus intéressante concerne la participation de l’électorat au scrutin local. Sur ce point, il convient de mettre l’accent sur deux éléments nouveaux liés aux modalités du scrutin qui n’ont pas empêché le recul du taux de participation. L’un concerne le vote électronique et l’autre, l’électorat des 16-18 ans.

Le vote électronique et la révélation d’un risque de sécurité associé à la carte d’identité électronique

 

Certes, ce n’était pas la première fois que l’Estonie mettait en application le vote par internet, en plus du vote à bulletins papier, lors d’un scrutin de dimension nationale. Cette technique qui permet aux électeurs de voter de manière dématérialisée depuis un ordinateur ou un téléphone portable, a été inaugurée lors des élections communales de 2005 et a été, par la suite, utilisée lors de chaque rendez-vous électoral (élections législatives de 2007, 2011 et 2015 et les élections européennes de 2009 et 2014).

L’important est de constater que l’électorat estonien confirme encore une fois son indéfectible attachement au vote électronique et ce, en dépit des révélations faites début septembre par le Premier ministre Jüri Ratas, selon lesquelles la carte d’identité électronique estonienne présenterait un risque «théorique» de vulnérabilité quant à la sécurisation des données qu’elle contient.

Ce scandale qui ébranle l’Estonie, à quelques semaines du début du scrutin, a fait craindre des réactions négatives sur le plan interne comme externe. À l’extérieur, c’est la réputation de l’Estonie en tant que pays (du) numérique, aussi appelé «e-Estonie», qui peut être touchée. Une situation d’autant plus dramatique que l’Estonie assume actuellement la présidence du Conseil de l’UE, largement axée sur la promotion, dans tous les secteurs, des TIC, d’où son appellation de «présidence numérique», la première du genre dans l’histoire de l’Union. À l’intérieur, c’est la confiance des citoyens à l’égard de ce qui est le pilier de toutes les solutions numériques du pays qui peut être mise à mal. Or, sur ce dernier point, le scénario catastrophe d’une défection massive de l’électorat vis-à-vis du vote électronique ne s’est pas réalisé. On pouvait toutefois s’y attendre, car une étude réalisée par Kantar Emor, auprès de 1500 personnes environ, âgés entre 15 et 74 ans, du 8 au 14 septembre, soit immédiatement après que le public ait été informé du problème lié à la carte d’identité électronique, avait révélé que les Estoniens étaient majoritairement favorables aux services en ligne, estimant le vote électronique (63,8% des personnes interrogées), les services de banque en ligne (98,9% des interrogées) et les services fiscaux en ligne (97,2% des sondées) comme étant nécessaires.  

Le vote électronique plus attractif que jamais

 

La révélation d’un risque de sécurité associé à la carte d’identité électronique n’a eu donc aucun effet négatif sur le recours au vote électronique, mais, en plus de cela, celle-ci n’a pas empêché que les élections municipales atteignent un nombre record historique d’e-votants, tous scrutins confondus (voir le tableau ci-dessous). Le bulletin électronique a été utilisé par 186 034 électeurs, ce qui correspond à 27,8% du corps électoral.  Rien ne semble détourner les Estoniens de leur success story. Ceci montre en fin de compte, que le succès de l’e-Estonie repose avant tout sur la confiance que les Estoniens accordent à l’égard des solutions numériques appliquées dans le pays, de leur carte d’identité numérique (appelée ID-kaart) et aussi de leurs dirigeants, lesquels n’ont hésité à annoncer en conférence de presse les résultats de l’étude, avant sa publication officielle, révélant les dangers en termes de sécurité que présentent plusieurs milliers de cartes d’identité estoniennes.

   

Selon les commentateurs, ce nombre record d’e-votants ne sera sans doute plus dépassé dans les années à venir. D’après eux, la raison à cela est la réforme décidée par la coalition gouvernementale actuellement au pouvoir de réduire, pour les prochaines élections, la durée autorisée pour procéder au vote électronique. Jusqu’à présent, il était possible de voter électroniquement au cours d’une période de sept jours avant le jour officiel du scrutin. Le vote électronique intervenait ainsi dans le cadre du vote anticipé qui permet à tout électeur, au cours d’une période allant du 10e au 4e jour, avant le dimanche, jour officiel du scrutin, de voter soit par bulletin papier, soit de façon numérique. À l’avenir, une fois que la réforme sera mise en œuvre, le vote électronique ne pourra intervenir qu’entre le 6e et le 4e jour avant le dimanche électoral. Cette réduction de 7 à 3 jours de la période du vote électronique risque d’avoir un effet négatif sur le nombre total d’e-votants.

Les 16-17 ans votaient pour la première fois

 

L’élément véritablement nouveau de ce scrutin municipal était qu’il donnait, pour la première fois, le droit de vote aux mineurs âgés de 16 et 17 ans. En cela, l’Estonie a suivi une recommandation adoptée en 2011 par l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe d’abaisser à 16 ans de la majorité électorale comme mesure en faveur du renforcement de la démocratie. Selon les statistiques officielles, l’Estonie comptait 24 153 jeunes de cette tranche d’âge. Lors de l’adoption de la loi en question en 2015, l’espoir était qu’il y ait une participation d’environ 60 % d’entre eux, soit un supplément de 14 000 à 15 000 votants. Il n’existe pas de chiffres pour le moment sur le nombre exact de votants parmi eux. On sait seulement que 1794 des 16-17 ans ont exprimé leur voix de façon électronique, soit 7,4% d’entre eux. Ce qui n’est pas un résultat particulièrement satisfaisant. Une étude de l’Université de Tartu devrait être publiée, dans les semaines qui viennent, concernant le comportement électoral des 16-17 ans.

Quoi qu'il en soit, ni l’apport des nouveaux électeurs âgés de 16 et 17 ans, ni le nombre record d’e-votants n’ont permis d’augmenter la participation du corps électoral. Seuls 53,4% des électeurs ont mis leur bulletin (papier ou électronique) dans l’urne. La tendance est donc à nouveau à la baisse depuis les élections locales de 2009, dont le taux de participation était de 60,6% (58% en 2013) sans toutefois atteindre le niveau record d’abstentions enregistré en 2005 (52,6% d’abstentions).

Rédigé par Rodolphe Laffranque

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